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Quatre alpinistes au coeur de l’Alaska

C’est l’histoire de quatre jeunes alpinistes français qui partent chercher l’aventure dans un massif glaciaire au fin fond de l’Alaska. Ce printemps, Thomas Auvaro, Matthieu Rideau, Jérémy Fino et notre ambassadeur Antoine Rolle ont certes réalisé des ascensions de grande difficulté, mais surtout vécu l’essence même de “l’esprit de cordée”. Découvrez le récit d’Antoine :

Première partie : Le Rev !

Incroyable ! C’est le mot qui me vient à l’esprit au retour de notre expédition en Alaska. Matthieu et moi étions il y a deux ans sur le Ruth Glacier avec le GEAN (Groupe Excellence Alpinisme National) et nous rêvions de revenir dans ces territoires. Cette fois ci, avec Matthieu, Thomas et Jeremy, nous avons passé trois semaines dans l’un des massifs les plus occidental au monde, les Revelations Mountains, à l’ouest de l’Alaska Range.
A peine arrivée à Anchorage, c’est une longue logistique qui s’installe. Louer la voiture, faire les courses et faire la route jusqu’à Talkeetna nous occupe déjà quelques jours. Une ultime journée de stop pour ramener la voiture de location conclut les premiers jours, nous sommes prêts pour les Revs. Pour accéder aux montagnes, il faut se faire déposer sur le glacier par un avion avec toutes nos affaires. Les locaux ont une expression, « Flight an hour or walk a week » (Trad : Vole une heure ou marche une semaine). Ce vol à travers les différents massifs d’Alaska est magnifique et reste inoubliable pour la plupart d’entre nous. Lors de l’atterrissage, les patins se posent sur la neige comme sur du velours. Nous marchons seulement une dizaine de mètres pour établir notre camp de base. Nous montons les tentes minutieusement. L’élément clé de notre vie quotidienne sur le glacier est la grotte de glace que nous devons construire. Au-delà du confort, ce sera notre refuge en cas de tempêtes. Les coups de pelles se déchainent pour creuser notre abri. Un vrai petit loft, avec bar américain et étagères amovibles.
Sur place nous retrouvons Clint Helander et Andres Marin, qui souhaitent tenter la face est du Golgotha. L’avion repart et nous nous retrouvons seuls au bout du monde.
Pour nous, les objectifs ne sont pas réellement définis. Il est temps de chausser les skis pour les premiers repérages. Enfin nous entrons dans l’action.

 

Une expédition à l’autre bon du monde, c’est surtout beaucoup de café et de préparation en amont ! (PS : Antoine porte notre sweat en coton bio) – ©Antoine Rolle

“Premier repas dans notre palace” – ©Antoine Rolle

Deuxième partie : Safety, fun and no summit.

Les premiers jours sur le glacier sont sous le signe de la neige. Direct dans l’ambiance. Le matin, le thermomètre affiche régulièrement -15°C dans la tente et passe les -25°C à l’extérieur. Et je ne parle pas du vent. Dans la grotte, chaque aliment est gelé, pétrifié. Cuisiner nous demande une énergie folle, baignée d’inertie collective.
Lorsque le soleil réapparaît, nous descendons plus bas sur le glacier pour repérer notre premier objectif, une goulotte profonde dans la face nord-ouest d’un sommet vierge. La ligne est logique et nous semble en bonnes conditions. Deux jours plus tard, nous dormons au camp avancé au pied de la paroi. Nous espérons atteindre ce sommet vierge en deux jours.
A cinq heures, le premier coup de piolet est frappé. Les longueurs s’enchainent entre neige et bonne glace. Certaines sont raides et soutenues. Même encaissé dans la gorge, le vide se creuse progressivement. La grimpe est superbe, nous réussissons facilement à nous protéger et nous prenons de plus en plus de plaisir. Thomas grimpe surement la longueur la plus dure, un grade 6 continu, et nous passons les 900m d’escalade. Je n’en reviens pas de l’encaissement de la goulotte, à la fois austère et rassurant. Un petit couloir nous amène alors à ce qu’on imagine être la dernière longueur avant l’arête finale. Stupeurs et tremblements. En haut de la pente de neige, nous butons dans un amphithéâtre de surplombs et dalles déversantes. Nous sommes sous le choc. La crête n’est qu’à quarante mètres mais il n’y a aucune ligne logique et potentiellement grimpable. Pour passer, il faut s’entreprendre à une difficile longueur d’artif. J’essaye en vain, sans le matériel adéquat. Pour nous il n’y aura pas d’issue et nous débutons les rappels déçus et dépités. Nous nous recouchons sans un mot vers quatre heures du matin et rentrons au camp de base le lendemain les jambes et le coeur lourds. A suivre…

 

“Une des nombreuses longueurs en neige couic-couic. Un vrai plaisir à grimper !” – ©Antoine Rolle

“Si proche, si loin…” – ©Antoine Rolle

Troisième partie : Vue sur l’horizon.

Certains matins sont plus durs que d’autres. Il fait grand beau, le réchaud ronronne mais le petit déjeuner à un goût d’amertume. Nous avons du mal à y croire, nous avons été stoppés à quarante mètres de la crête. Un scénario cauchemardesque. Il nous faut plusieurs jours pour digérer cette désillusion. Mais au fur et à mesure, les meilleurs moments de la journée refont surface laissant de coté l’échec. La motivation revient progressivement et nous pensons à de nouveaux objectifs.
Deuxième coup dur avec la blessure de Matthieu. Pendant notre tentative, Matthieu s’est gelé un orteil. Apres plusieurs coups de téléphone avec le médecin de l’Ifremmont, ils décident tous deux qu’il est préférable pour lui de rester au camp de base. Un geste qui nous permet de retourner en montagne pendant le créneau de beau temps qui s’annonce. Pour lui, une partie de l’expé s’arrête là et pour Jeremy, Thomas et moi, la grimpe perd une certaine saveur.
Pour se remotiver, nous décidons tous les trois de partir à skis en direction du Sylph (2310m). Le vent des derniers jours à soufflé la poudreuse restante. La glisse ne sera pas exceptionnelle mais la journée est belle et le lieu reste magique. Nous atteignons notre premier sommet. Enfin ! Pour la première fois nous prenons de la hauteur pour observer les montagnes. Par la même occasion nous repérons une ligne de goulotte en face nord du Seraph (2605m) et dès le lendemain nous sommes à pied d’oeuvre pour grimper. 
Les trois premières longueurs sont à base de glace, bouchons de neige et de gouttes de sueur. Nous débouchons dans un couloir où le rythme s’accélère. Une dernière longueur de mixte nous mène à la pente sommitale. Pas de vent, le soleil frappe et la vue au delà des montagnes est magnifique. Quelle émotion d’avoir la chance d’ouvrir une nouvelle voie en Alaska, « MaKeMaLo » (ED-/M7/600m) sur le Seraph. Nous pensons évidemment à Matthieu qui nous attend au camp de base. Nous restons près d’une heure au sommet, paisible à admirer le paysage. La descente facile par une série de trois rappels et un couloir nous ramène rapidement au pied de la face puis au camp de base. Aujourd’hui la journée était parfaite et la joie est de retour sur nos quatre visages.

 

Dans l’ascension du Sylph à skis – ©Antoine Rolle

“Topo – Voie normale – Sylph 2310m. Deuxième ascension du sommet, première à ski.” – ©Antoine Rolle

“Dans le haut du couloir, encore deux longueurs et nous arrivons au sommet.” – ©Antoine Rolle

“Topo – MaKeMaLo – Seraph (2605m). Deuxième ascension du sommet, première et ouverture en face nord est. – avec Thomas Auvaro.” – ©Antoine Rolle

Dernière partie : Un dernier galop pour la route.

Au camp de base, nous jouissons de chaque moment de décontraction. Une fois les chaises, table et réchaud sortis à l’extérieur de la grotte, nous cuisinons de fins mets en profitant du soleil. Les omelettes et le bacon n’ont jamais été aussi bon que sur le Revelation Glacier. 
Affalés dans nos fauteuils, nous avons en ligne de mire le sommet de l’Hydra (2380m). Un itinéraire nous saute aux yeux, rayant la face en diagonale. Il nous reste un jour avant que l’avion nous récupère et nous décidons de tenter notre chance coûte que coûte. The last one.
Encore dans mes rêves, je devine le réveil sonner malgré les grosses rafales qui secouent la tente. Notre camp de base est soumis continuellement au vent remontant et descendant du glacier. Clint et Andres en ont fait les frais quelques jours auparavant avec l’effondrement de leur tente mess. Pour nous, le vent matinal laisse place aux doutes. Il faut se botter le cul une première fois pour sortir du duvet et une seconde pour débuter l’approche. A l’attaque le vent ne faiblit toujours pas mais Jeremy se lance dans la première longueur. Les spindrifts coulent en remontant la paroi. Quelle est cette étrange pesanteur ? Des tornades de neige filent sur le glacier. Pendant ce temps, Jeremy se bat dans de belles longueurs en M7. Je prends la tête et par une longueur dure (M8 ou A1) nous débarquons sur la rampe diagonale. Relais après relais, la grimpe ne cesse de s’intensifier. Au 2/3 de la face, le doute réapparait. Une des sorties que nous imaginions n’est pas envisageable. A ce moment, Thomas prend le relais. Sa motivation est sans faille. Il nous transmet sa détermination et permet à la cordée de repartir de l’avant. Les longueurs sont moins dures que nous le pensions. Au bout de quelques minutes Jeremy et moi entendons un cri de joie, Thomas est sur l’arête. « Fa pas caou per aqui ! » ED/M8/600m. Au sommet, le coucher de soleil est superbe. Il s’étend à l’ouest sur les plaines qui filent vers le détroit de Béring. Une fois de plus la descente est sans accrocs et 15h après être partis nous retrouvons le camp de base.
Le lendemain, les sacs sont bouclés et nous nous retrouvons à attendre, seul sur le glacier, l’avion de la Talkeetna Air Taxi. Une heure après, c’est le retour à la civilisation.
Une fois de plus, l’Alaska ne nous a pas déçu.
Merci à Thomas, Matthieu et Jeremy pour ces moments partagés, de grimpe, de doute, de rire, de ski, de bonheur et d’amitié. Next.

“Le début de la rampe en diagonale, plus raide qu’il n’y parait.”- ©Antoine Rolle

“Topo – Fa pas caou per aqui ! – Hydra peak 2380m
Ouverture en face est” – ©Antoine Rolle

“Tenue correcte exigée.” – ©Antoine Rolle