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Gautier Supper, un grimpeur au nom prédéstiné

Comment se passe le quotidien d’un grimpeur de haut niveau ? Que devient un athlète du top mondial après avoir quitté les podiums et les coupes du monde ? Quelle vision a-t-il sur l’escalade de demain ? Vous saurez tout après avoir lu l’interview privilégiée de notre athlète Gautier Supper, une tête bien remplie dans un corps sain !

Masherbrum : Salut Gautier, pour que nos lecteurs te connaissent mieux, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Gautier : Bonjour à toutes et tous, salut Mash !

Bien sûr, je suis né en 1990, et grimpeur depuis l’âge de cinq ans du côté de Val d’Isère. L’escalade a toujours été pour moi un art de vivre et fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Mon passé de compétiteur m’a permis de faire beaucoup de rencontres, d’expériences et d’acquérir de la maturité.

Habitant désormais à Gre (Grenoble), je suis avant tout un grimpeur passionné ! Ancien sportif de haut niveau en escalade de difficulté, je pratique désormais les activités outdoor de montagne sous toutes leurs formes : ski, VTT, trail, alpinisme, randonnée, grandes voies d’escalade, cascade de glace. Il faut dire qu’avec un terrain de jeu comme celui qui nous entoure, l’énergie locale collective, j’ai du mal à tenir en place ! Mon leitmotiv : le plaisir !

Au-delà de ça et de mes plaisirs sportifs, il y a désormais mon avenir professionnel, mais on en parle après ?

Gautier en footing dans un 7b lors du tournage PROCLIMB2 Masherbrum – ©TLC Prod

M : Que doit-on retenir de ton palmarès en tant qu’athlète en escalade de difficulté ?

G : J’ai gagné deux étapes de coupes du monde, six podiums d’étapes, une seconde place au classement général des coupes du monde, troisième au championnat du monde et huit ans dans le top 10 mondial ! J’ai fait du mieux que je pouvais !

“Deux entraînements par jour, à peu près trois heures le matin, quatre heures l’après-midi”

M : Ton plus beau podium en compétition et pourquoi ?

G : Ils ont chacun une histoire !

Briançon fut ma première victoire d’étape donc forcément il prend une place importante. Je gagne avec dix prises de plus que le second en passant dernier en finale, ce qui n’est vraiment pas simple à gérer. Quand tu passes dernier, tu sais quand tu as gagné et je suis resté encore 30 secondes sur le mur.

Un instant magique ! Ca faisait 11 ans qu’un français n’avait pas gagné une étape, comme pour le championnat du monde en 2016. L’ambiance était déjantée après !

Chaque podium reste un moment fort dans ma tête. Avec une mention spéciale pour mon premier quand même, j’avais 19 ans, c’était en Chine. N’ayant pas eu une profonde envie d’anticiper le décalage horaire, je me retrouve forcément tout éveillé la nuit avant la finale. Je suis donc allé faire des photos de nuit dans la ville – une autre passion -, tout content d’être là à l’autre bout du monde…

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Gautier lève les bras sur la plus haute marche durant la coupe du monde 2015 à Stavanger, en compagnie d’Adam Ondra et Romain Desgranges

M : On imagine que cette réussite est le fruit d’un entraînement quotidien assidu et acharné… Peux-tu nous donner succinctement une de tes semaines types ? Combien de temps cela a-t-il duré ?

G : C’est effectivement très long d’arriver au top niveau. Il faut avoir une profonde détermination et aimer chercher la limite.

Une semaine type sur mes dernières années c’était deux entraînements par jour, à peu près trois heures le matin, quatre heures l’après-midi. Un jour de repos dans la semaine… Après cela varie selon les cycles d’entraînement et les types de séances.

Mais je ne faisais pas ça à 16 ans non plus, au lycée je ne m’entrainais que les soirs, il faut y aller petit à petit !

Sur les quatre dernières années j’étais en cours à distance donc je m’entrainais dès que possible et c’était top ! Cela permettait vraiment de faire des séances qualitatives et espacées dans la journée.

Je n’ai jamais non plus été un bourreau de l’entraînement ! Une fois, plus jeune, le coach m’a dit que je devais m’entraîner le weekend parce que deux jours de repos ce n’était pas stratégique pour la récupération, je lui en ai un peu voulu !

“Ne pas me focaliser que sur la compétition m’a aidé à réussir”

M :  Comment organisais-tu ta vie de sportif de haut niveau, pour jongler avec les entrainements, les compétitions, les études ou ta vie sociale ?

G : Il fallait de l’organisation pour tout gérer et j’étais très bien entouré !

L’entraînement c’était parfait, j’avais ma planification avec le pôle France et l’équipe de France : toujours un entraîneur présent, quelqu’un avec qui grimper et des voies sur les murs. Que demander de plus ? Merci à eux ! Parce que venir un dimanche matin sous la pluie pour t’assurer par cinq degrés, il faut le faire ! Et ce n’est qu’un exemple parmi des millions.

Ils préparaient également tous les déplacements avec l’équipe, les billets d’avion, les voitures, les hôtels… Sacré job !

Auparavant au club de Chambéry on avait aussi une super équipe et un groupe très soudé.

Pour les études, j’ai eu un emploi du temps aménagé après le lycée avec le CESNI, d’abord à Chambéry jusqu’à la licence, puis à Grenoble École de Management où j’ai pu faire mes deux ans de Master en quatre et par correspondance. On avait à chaque fois une classe de sportifs, c’était sympa d’échanger et suivre les péripéties de chacun.

Pour les stages, c’était une tout autre histoire ! Et c’est le cas pour beaucoup de sportifs.

En Master, j’ai eu l’opportunité de créer ma première société avec l’école et un tuteur. C’était une chance car j’ai pu poursuivre avec mon rythme et ne pas devoir faire des horaires de bureaux comme un stage « classique ». Ce qui avait été plus compliqué à gérer les années précédentes.

Pour la vie sociale, logiquement tu évites les vacances type “spring break” en pleine saison. Mais poursuivre mes études et avoir d’autres passions m’ont bien aidé à rester dans la réalité et avoir des discussions autres que l’escalade.

Le tout est de trouver un bon équilibre entre tout cela. Et ne pas me focaliser que sur la compétition m’a aidé à réussir en compétition aussi. C’est ce qui a fonctionné pour moi en tout cas.

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Gautier aux championnats du monde à Paris – @Aymeric Monin

M :  Quels sont tes bons souvenirs et regrets de cette époque ?

G : Je n’ai pas spécialement de regrets, à part les spring breaks ! On peut toujours faire mieux sur une compétition, c’est ça qui m’a attiré aussi : chercher ce run parfait dans une finale de coupe du monde. Il y a tellement de paramètres à maîtriser. On passe à côté de plein d’aspects de la vie, on en a vu d’autres, c’est une chance aussi.

J’ai loupé pas mal de podiums à seulement une prise, c’est le jeu !

Pour les bons souvenirs, j’en ai des millions. J’ai vécu cette période à fond, sans me priver de libertés. On a fait des voyages, des rencontres, puis ce n’est pas fini j’ai créé de vraies amitiés, et c’est celles qui restent une fois que tu arrêtes.

 

M :  Quel regard portes-tu sur le monde du haut niveau d’aujourd’hui ?

G : Je suis un passionné alors je suis plein de jeunes grimpeurs sur les réseaux, je regarde les compétitions, les résultats.

Il y a de plus en plus de monde, c’est dur !

Je trouve que l’accès au haut niveau n’est pas forcément simple, selon les régions ça l’est encore plus. J’avais d’ailleurs créé un programme pour aider les jeunes en faisant des stages et planifications. Je les suis dès que possible.

J’ai mon petit team aussi ! J’aimerais avoir plus de temps pour eux, ils sont super, ils viennent de partout et sont contents de faire partie de l’aventure.

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Transmission et partage d’expérience auprès des champions de demain – ©La dégaine escalade

M : En parallèle du sport tu as cherché à construire ton avenir, quel a été ton parcours sur le plan de tes études supérieures ?

G : C’était quelque chose de très important pour moi de faire des études. Sur plusieurs points, déjà je pense être assez curieux et j’adore apprendre et rencontrer des gens d’autres univers.

M’assurer un avenir m’a aidé à atteindre mes objectifs. C’est un équilibre global : si tu es en échec dans un domaine, tu as une chance que ça fonctionne dans au moins un autre. Tu as aussi moins le temps de ruminer chez toi après une mauvaise compétition lorsque tu as cinquante pages de finance à rendre !

Moi j’ai choisi le commerce, je ne me sens pas spécialement une âme commerciale mais je suis créatif et touche-à-tout. Là on avait de tout : géopolitique, droit, marketing, stratégies, c’était plein de choses à découvrir pour moi.

“Quand je vois à quel point ce sport m’a aidé dans ma vie, si ça peut aider d’autres personnes c’est tant mieux.”

M : Sur le plan professionnel, que fais-tu désormais ?

G : Après plusieurs péripéties, je me retrouve aujourd’hui à jongler entre la société Sandstone, que j’ai cofondée avec Aymeric Monin en rassemblant nos deux marques Bleausard et la magnésie Supper Climbing. Nous avons notre propre espace de production pour la magnésie liquide Made in France, on fait aussi de la location de crashpads, et distribution d’autres marques. Notre stratégie est vraiment portée sur la production locale et les produits hauts de gamme.

J’effectue aussi des prestations pour Agripp (marque de prises d’escalade belge) avec laquelle j’ai développé une gamme de volumes bois vendue sous ma marque. Je m’occupe également du commercial, des projets web…

A côté j’ouvre des blocs et voies dans des salles d’escalade, avec également du coaching. L’an passé j’étais six mois à Pékin pour encadrer l‘équipe nationale chinoise.

Escalade sur les falaise de Pen Hir en Bretagne – ©Gautier Supper

M :  Parle-nous de tes objectifs professionnels, de ta vision et aspirations ?

G : Ma réponse la plus concrète je dirais est la création de Sandstone, qui est vraiment portée sur les aspects de made in France, d’éco-conception – comme Masherbrum -, avec la mise en place de circuits courts, SAV et recyclage.

Ce sont des valeurs qu’on partage avec Aymeric, c’est vraiment un projet que j’ai envie de voir fonctionner sur le long terme. C’est dur à monter comme société : ce ne sont plus forcément des marchés mondiaux, les marges sont réduites, la concurrence s’intensifie.

Mais j’ai encore plein d’idées, je rencontre plein de personnes avec des projets passionnants dans un tas de domaines. On se rend compte de plus en plus aujourd’hui de la nécessité de revenir à du plus local.

J’ai aussi envie de redévelopper ma partie coaching, pour tous niveaux, j’adore ça. Quand je vois à quel point ce sport m’a aidé dans ma vie, si ça peut aider d’autres personnes c’est tant mieux.

“Il n’y a pas que le sport dans la vie”

M : Est-ce facile de rebondir après une fin de carrière en haut niveau?

G : Très dur au début, surtout que ma carrière s’est terminée de manière un peu brusque.

Mais j’ai redécouvert l’escalade avec les grandes voies, le trad, j’ai équipé des voies en falaise avec mon ancien coach.

Puis la montagne ! Je viens de là, le ski, le vtt… Avec plus de temps j’ai pu refaire toutes ces activités.

J’ai longtemps hésité à revenir aussi.

C’était une bonne gymnastique mentale en somme…

 

M : Quels conseils pourrais-tu donner aux jeunes sportifs de haut niveau en général, quel que soit le sport ?

G : Faites ce que vous aimez, croyez-y, écoutez votre instinct et faites votre propre chemin.

Il n’y a pas que le sport dans la vie, pensez à quelle personne vous seriez sans le sport, que vous ayez fait une bonne saison ou pas.

Tentez l’aventure jusqu’au bout, on ne sait jamais où ça mène !

 

M : Avec l’explosion de l’escalade indoor, quelles évolutions imagines-tu pour l’escalade de demain et les sports outdoor en général?

G : J’assiste à ça avec le sourire : à la salle je vois des nouveaux grimpeurs arriver, partager un bon moment, rigoler. Ils progressent et prennent confiance, mais aussi ils se changent les idées : c’est la magie de l’escalade comme toute autre passion.

L’escalade de bloc, a beaucoup aidé à ce développement, est-ce que ce sera juste un effet de mode ? On verra.

La pratique en salle n’est pas non plus des plus écologiques. Il y a des solutions en création, mais est ce que le marché sera sensible à ça?

C’est aussi l’occasion de profiter de cette notoriété croissante qui peut aider à développer ce sport, à regrouper des compétences pour créer les projets de demain.

Mais il faut anticiper l’évolution et l’impact que cela pourrait avoir sur la nature c’est certain. Pour la pratique outdoor, les parkings des falaises sont saturés, des problèmes de sécurité se posent sur certains sites. Certains pratiquants arrivent inexpérimentés c’est dangereux pour tous, il faut mettre des apprentissages en place.

Gautier n’est jamais très loin de son “fief” grenoblois ! – @ Gautier Supper

M : L’escalade aux JO de Paris 2024, qu’est-ce que cela t’inspire ?

G : La partie compétition de l’escalade se développe vraiment, et elle se professionnalise. On n’est encore qu’au début je pense.

Ça sera une très bonne vitrine, j’espère que les entreprises françaises seront mises en avant lors de ces JO !

Mais avec les JO l’escalade rentre aussi dans le cercle des sports médiatiques. Cela signifie les réseaux sociaux, les médias, les sponsors… et ça prend du temps à gérer en tant que sportif : est-ce qu’on veut des likes ou des podiums ?!

En tant que sportif ou coach, participer à un tel évènement doit être mythique. Mais c’est l’autre côté du miroir qui me fait me poser des questions. Tout ce monde, ces infrastructures, ces budgets énormes. Est-ce raisonnable dans le monde actuel ?

 

M : Que pouvons-nous te souhaiter pour tes années à venir ?

G : Plaisir en montagne, réussite dans le travail et dans la vie en général !

 

Gautier a rejoint le #mashercrew en juin 2021. Depuis il nous représente dignement grâce à son dynamisme, son accessibilité et sa pluri-activité dans le monde de l’outdoor !

Gautier Supper, @suppergautier