Souvent perçue comme une activité engagée réservée aux alpinistes aguerris, la cascade de glace intrigue et interroge. Entre deux et trois mois par an, elle devient l’activité numéro une de toute une communauté de passionnés d’outdoor et de verticalité. Mais l’escalade de ces structures éphémères figées par le gel est-elle accessible aux débutants ? Quels sont les risques, les techniques, les astuces ? Spécialiste de cascade de glace depuis plus de 20 ans, notre guide et ambassadeur Masherbrum Yann Romaneix répond à toutes ces questions !
Masherbrum : Je n’ai jamais fait d’escalade, ni d’alpinisme, puis je essayer la cascade de glace ?
Yann Romaneix : J’ai tendance à dire à mes clients que la cascade de glace est dans un premier temps plus accessible que l’escalade sur rocher. Accessible dans le sens où l’on chemine au grès de ses envies sur le ressaut de glace en créant ainsi son propre itinéraire, que les pieds adhèrent « relativement facilement » et que la préhension pour les mains est toujours la même via les poignées des piolets.
Une fois passé l’appréhension du milieu et de l’élément, acquis la gestuelle de base, alors le jeu devient rapidement ludique.
Masherbrum : La cascade de glace est-elle différente des écoles de glace que l’on pratique en alpinisme ?
Y.R : Oui totalement. L’objectif de ces deux pratiques n’est pas le même. L’école de glace consiste à acquérir les fondamentaux techniques pour évoluer en haute montagne sur des pentes de neiges et glace doté de crampons et d’un piolet droit. La cascade de glace a pour objectif de gravir des lignes d’eau figées par le froid à l’aide d’une paire de piolets tractions et crampons. Néanmoins la maîtrise de l’ensemble des techniques de cramponnage et de piolet serviront dans les deux activités. Il n’est pas rare de s’initier à la cascade de glace lors d’une école de glace sur les parois d’une crevasse glaciaire.
Masherbrum : Peut-on pratiquer sur des structures d’initiation, comme pour l’escalade en salle ?
Y.R : Désormais de nombreuses communes de montagne se sont dotées de cascades artificielles. Souvent placées dans des zones très froides, en fond de vallée ou en altitude, les communes arrosent d’eau une falaise ou une structure artificielle en laissant le froid faire son œuvre. Ces outils sont très intéressants pour qui voudrait s’essayer à la cascade de glace avec un minimum d’engagement car il est souvent facile d’y placer une corde depuis le haut. Il est souvent obligatoire de réserver leurs accès et de payer un droit d’entrée pour l’entretien du spot. Le mieux étant de se renseigner auprès de l’office de tourisme local. Voici quelques communes équipées de structures artificielles : Freissinières, Pelvoux, Aiguilles-en-Queyras, le Boréon, Champagny-en-Vanoise.
Masherbrum : Le matériel est-il différent entre l’alpinisme et la cascade de glace ?
Y.R : Le matériel commun à ces activités est celui lié à la verticalité : casque, harnais, corde, sangles, dégaines, descendeurs, mousquetons à vis. Pour l’alpinisme et la glace, on utilise en plus piolets et crampons mais ils sont différents. Le piolet dédié à l’alpinisme est unique et droit, pour la cascade de glace ils vont par paire, sont plus courts et courbés. On les appelle « piolets traction ». Pour les crampons la grande différence se situe au niveau des pointes avant. En alpinisme la structure des pointes avant est horizontale pour un bon maintient dans la neige, en glace elle est verticale pour une bonne pénétration dans la glace, telle une lame de couteau.
Masherbrum : Peux-tu nous donner des conseils techniques ?
Y.R: Comme toutes les activités sportives, il y a forcément une technique spécifique, d’autant plus qu’on évolue sur de la glace, matière sur laquelle l’homme a peu l’habitude de se mouvoir et qu’en plus on est équipé d’outils pointus et tranchants.
Pour évoluer sur une cascade de glace, on distingue deux phases : la phase statique de frappe et la phase de progression. Dans la phase statique de frappe, le corps forme un triangle équilibré sur les pointes avant des crampons. Elles sont placées à la perpendiculaire par rapport à la surface de la glace. Le bassin est collé et le tronc décollé pour avoir du recul par rapport à la glace et permettre ainsi de pouvoir lire l’itinéraire tout en armant son piolet loin pour lui donner de la vitesse. Lors de la phase de progression on fermera les bras sur les piolets en ramenant les pieds dans l’axe, en progressant par petits pas sur les pointes avant des crampons. Dans cette phase, le bassin est décollé de la glace pour permettre une bonne lecture des pieds et du relief de la cascade.
Masherbrum : Peux-tu nous décrire la technique de frappe du piolet et d’ancrage des crampons?
Y.R : Pour ancrer les piolets, on cherchera une frappe rapide et souple avec un poignet gainé (comme un lancer de fléchettes) plutôt qu’une frappe appuyée et lourde (frappe de marteau). Il est préférable de viser les formes concaves (trous). Une fois la cible identifiée on arme son piolet haut et derrière, coude fléchi, afin de lui donner de la vitesse et de l’inertie. En fin de frappe on laisse le piolet « vibrer » pour une bonne pénétration dans la glace. En résumé il faut une main de fer dans un gant de velours !
Pour les crampons, si la cascade présente du relief, comme de petites marches, alors on tape légèrement les pointes avant dessus afin de les faire mordre. On valorise cet appui en y maintenant une pression, comme avec un chausson d’escalade. Si la surface de la glace ne présente pas de relief, alors on doit créer un ancrage en tapant les pointes avant des crampons de façon sèche et précise. On évitera de taper trop fort les pointes de peur de réellement se faire mal aux orteils et surtout aux ongles de pieds si ils sont mal coupés (à anticiper !).
Masherbrum : Quels sont les spots de cascade de glace les plus connus?
Y.R : Tous les territoires de montagne ne sont pas dotés du même potentiel. Les Hautes-Alpes est le département français le mieux loti en terme de glace. En effet on compte plus de 350 itinéraires sur l’ensemble du département, dont voici quelques spots: Ceillac, Freissinières, La Grave, Le Fournel, Les Orres, Champsaur-Valgaudemar. On trouvera également des cascades en Isère (vallon du Diable, Alpes d’Huez), en Savoie (Haute-Maurienne), en Haute Savoie (bassin d’Argentière, Six Fer à Cheval…), dans les Pyrénées, dans le Mercantour. Nos voisins de l’arc alpin sont également bien dotés avec l’Italie (Alpes de l’Ouest), la Suisse (Kandersteg), l’Autriche (Oztal) pour ne citer qu’eux. Liste non exhaustive bien évidemment ! Un très bon ouvrage à ce sujet est le topoguide : « ALPINE ICE, les plus belles cascades de glace des Alpes » de Mario Sertori, Edition Versante Sud.
Masherbrum : Les cascades se forment-elles tous les ans?
Y.R : Les cascades de glace, comme toutes les activités outdoor, sont dépendantes du milieu naturel. Il arrive que certaines années les cascades ne se forment pas de la saison par manque d’eau ou de froid (tendance avec le réchauffement climatique). Lorsque l’hiver arrive, avec son froid, cela devient une véritable chasse aux conditions ! Ceci étant, lorsque les cascades se figent alors on retrouve une ligne quasi identique aux années précédentes à quelques détails près et elles sont généralement répertoriées dans les topoguides de référence et sur internet.
Masherbrum : Comment fait-on pour grimper en tête sur une cascade de glace et monter la corde ?
Y.R : L’escalade en tête sur une cascade implique que l’on se protège au fur et à mesure de son ascension en plaçant des points de protection par le biais de broches à glace. On visses ces tubes métalliques dans la glace et on y place une dégaine recevant la corde de progression. On utilise différentes longueurs de broches selon l’épaisseur de la glace et selon l’objectif : point de protection à la progression, point de relais, broche à lunule.

L’espacement des points lors de la grimpe en tête peut induire un certain engagement – ©Benjamin Ribeyre
Masherbrum : A quelle fréquence dois-je placer des broches pour me protéger lorsque j’évolue en tête ?
Y.R : Il n’y a pas de règle, c’est totalement libre et à l’appréciation du leader pour sa propre sécurité. Quelques principes de bases sont toutefois à respecter : il faut prévenir une chute au sol ou sur une vire. On peut éloigner les points au fur et à mesure de sa progression, le risque de retour au sol diminuant, à l’image des spits en escalade sportive.
On doit aussi impérativement éviter le facteur 2 au départ d’un relais avec le placement d’un point de renvoi à proximité afin de le « protéger ».
Il est judicieux de penser à se protéger avant une difficulté technique, et avant un rétablissement à la sortie d’un ressaut de glace même si la sortie semble débonnaire, des dangers existent au dessus ! Il faut trouver le bon compromis entre pose de protections et vitesse de progression. Ensuite libre au leader de placer autant de broches qu’il le souhaite pour sa sécurité. Le nombres de broches à prendre lors d’une ascension dépend de l’équipement en place au relais (anticipez qu’il puisse y avoir d’autres cordées), de votre niveau, de votre engagement, de la taille des longueurs…
Masherbrum : Les broches à glace offrent-elles une protection sûre ?
Y.R : Les broches à glace font parties de la famille des points de terrain d’aventure à l’image des pitons, friends, câblés, et autres types de coinceurs, à l’opposé des spits en escalade sportive. Si elles sont solides industriellement parlant (la résistance notée sur le produit en KiloNewton, 1kN=100Kg), le milieu naturel dans lequel on les place n’est pas normé et engage la responsabilité et l’expérience du pratiquant. Une analyse de la qualité de la matière est primordiale ainsi qu’un bon placement. Si toutes ces conditions sont réunies alors les broches sont de véritables points de protections. Sur des points plus fragiles, à cause de la quantité de glace ou de la qualité, il peut être judicieux de placer des dégaines à déchirement qui ont pour objectif d’absorber une partie de la force exercée sur l’ancrage lors d’une chute.
Masherbrum : Comment fonctionne l’échelle de cotations en glace?
Y.R : En glace il y a deux chiffres à prendre en considération. Prenons un exemple : III/4+. Le chiffre romain est le grade d’engagement lié aux facteurs extérieurs : accessibilité, exposition aux dangers objectifs (stalactites, qualité de la structure), options de retraite. Le chiffre arabe renseigne le degré technique, qui prend en compte la raideur de la ligne et la longueur des ressauts.
En terme de cotation technique, la cascade de glace commence à 2, en dessous on parle de ruisseling, et s’échelonne ainsi : 2/2+/3/3+/4/4+/5/5+/6/6+/7, et pareil pour le grade d’engagement. Cela étant on ne perdre pas de vue que l’on évolue sur une matière changeante et donc que le degré technique peut varier en fonction de nombreux paramètres : qualité de la glace liée à la température (cassante ou élastique), à la présence ou absence de neige, au nombre de passages etc… La cascade de glace est l’école de l’humilité et, tout comme l’alpinisme, est une histoire d’expérience.
Masherbrum : Y a-t-il des risques hormis la chute ?
Y.R : À l’inverse de l’escalade sportive sur rocher, la chute en glace est mal venue et ne fait pas réellement partie de l’activité, même si on met tout en œuvre pour l’enrayer et faire qu’elle ne soit pas dramatique. En effet, comme nous en avons parlé précédemment, les points de protections restent des points de terrain d’aventure avec un aléa et le glaciériste évolue équipé de piolets et crampons agressifs qui peuvent être à l’origine de traumatismes.
Les autres risques ? En cascade de glace, il ne faut pas perdre de vue que l’on évolue dans un milieu hivernal (froid et neige) et très souvent au coeur de lignes d’écoulements naturels. Il faut donc s’intéresser à ce qui se passe au-dessus de la cascade, mais également sur les bassins versants surplombants la ligne. De nombreuses cascades sont exposées aux coulées d’avalanches.
En plus de ce risque il faut toujours prendre en considération la structure sur laquelle on évolue et donc la température du moment, facteur qui influe fortement sur la structure de glace.
Masherbrum : Afin d’être une cordée autonome en cascade de glace, quel liste de matos type me conseilles tu?
Y.R : Sur le plan du matériel technique pour une cordée autonome il faut : matériel technique lié à la verticalité (casque, harnais), une paire de piolets tractions, une paire de crampons glace, deux cordes à double avec un traitement hydrophobe (entre 50m et 60m), un jeu de broches et de dégaines variées (6 à 14), des porte-broches, des sangles libres (120cm et 180cm) pour les relais, une plaquette/descendeur, des mousquetons à vis variés, longe double, un système de mouflage, un couteau, un autobloquant, un crochet à lunule, de la cordelette à lunule (8m) et maillon rapide. Avec un kit DVA si besoin. Comme en ski de rando, il est impératif de consulter le BERA (Bulletin d’Estimation des Risques d’Avalanches) avant de partir.
En terme de textile voici les essentiels pour évoluer dans cet univers hivernal impliquant souvent froid, neige et vent. Il est important d’avoir une tenue imperméable (veste et pantalon), une première couche technique pour le haut du corps type Masherbrum PROCLIMB, un collant thermique, une polaire technique, une grosse doudoune, un bonnet + tour de cou, une paire de gros gants (pour l’approche et les phases statiques : relais et rappel), des gants fins pour la grimpe pour une bonne dextérité, une paire de moufle pour deux en back up en fond de sac, un thermos de thé, de l’eau chaude pour s’hydrater après l’approche, une frontale, une pharmacie complète, des chaufferettes, un moyen de communication.

Pro tip : une première couche thermique pour être confort pendant son ascension ! – ©Boris Pivaudran avec Yann Romaneix
Masherbrum : Puis-je utiliser mes chaussures d’alpinisme estival ?
Y.R : Comme le veut la saison, il fait souvent froid et il y a souvent de la neige. Les chaussures d’alpinisme estival ne requièrent pas la thermicité nécessaire pour lutter contre le froid et la neige. De plus les chaussures hivernales sont dotées d’un débord avant permettant d’utiliser les crampons glace avec une attache automatique pour plus de précision. Il est vivement conseillé de s’équiper de guêtres pour protéger le bas de pantalon et éviter que la neige ne pénètre trop dans les chaussures.

Des chaussures d’alpinisme hivernales pour crampons automatiques sont fortement recommandées – ©Boris Pivaudran
Masherbrum : Pour conclure, aurais-tu des petites astuces de guide ?
Y.R : Les fameuses astuces ! Je fais souvent l’approche uniquement avec ma seconde couche et ma couche extérieure. Je garde ma première couche textile Masherbrum enroulée autour d’une petite bouteille de 50cl d’eau très chaude. Arrivée au pied de l’objectif, et après avoir arrêté de transpirer, j’apprécie enfiler ma première couche chaude et sèche tout en buvant l’eau chaude gardée précieusement, me réchauffant ainsi entièrement. Cette boisson me permet d’attaquer la ligne de glace dans de bonnes conditions tout en gardant mon thermos de thé pour l’ascension.
Une autre astuce : j’utilise beaucoup les moufles pour les approches, m’évitant d’avoir froid aux mains et je les garde en back up sécu au fond du sac au cas où ! J’ai également toujours une seconde paire de gants fins pour pouvoir en changer lorsqu’ils sont trop mouillés.
En guise de trousse de réparation, j’emporte avec moi une attache avant de crampon (elles peuvent casser), une barrette de crampon (idem), deux types de clés Allen et un peu de scotch américain. Enfin, dernière astuce : je possède un second crochet à lunule très léger (que j’ai également en fond de sac lorsque je suis en mode alpinisme estival) fabriqué à partir d’un rayon de bicyclette.
Pour débuter, le mieux c’est d’être encadré ! Pour plus d’informations, contactez votre bureau des guides local ou directement Yann sur Facebook, Instagram ou par mail à yann(at)masherbrum.fr. Promis, il est sympa et surtout très pédagogue !