Montagne aussi mythique que majestueuse, la Meije (3983m) a marqué l’histoire de l’alpinisme puisqu’elle fut le dernier grand sommet des Alpes à être gravi. La reine Meije attire chaque année pléthore de prétendants à sa légendaire traversée des arêtes (D-), reconnue par beaucoup comme l’une des plus belles courses d’alpinisme de toutes les Alpes. Clara Sonzogni, ambassadrice Masherbrum, a eu la chance de réaliser ce rêve de longue date en août 2021. Elle nous partage son cheminement dans un récit introspectif.
Quel alpiniste n’a jamais entendu parler de la Meije ? Avec sa traversée historique entre le Grand Pic et le Doigt de Dieu ! Une ascension qui frôle les 4000 m sans jamais les atteindre, mais qu’importe, sa grandeur nous fait oublier ce détail. Une des dernières voies normales à avoir été ouverte en 1877 par deux grands noms français de l’époque: Emmanuel Boileau de Castelnau et Pierre Gaspard.

La face nord du Grand Pic de la Meije domine la Grave – ©Masherbrum
A vrai dire, dès mes premiers pas dans le monde de l’alpinisme, ce sommet m’a fait rêver. La néophyte que j’étais alors voyait cette course comme un véritable défi qui, une fois réussi, me ferait avancer d’un pas de géant dans la cour des grands.
C’est ainsi qu’il y a quatre ans, j’ai tenté pour la première fois de m’approcher de cette montagne majestueuse que l’on distingue si bien depuis la Grave. Il est facile de lever les yeux vers cette pointe semblant toucher le ciel et de rester émerveillé par sa prestance. La roche semble inhospitalière depuis les terrasses des restaurants, vient ensuite le blanc immaculé du glacier de la Meije et ses séracs, puis les conifères d’un vert sombre qui laissent place à la prairie chatoyante. Ce décor m’a fasciné au premier regard et attire d’ailleurs nombre de touristes chaque été, désireux d’observer la belle depuis la vallée.
Il y a quatre ans, je venais de débuter l’alpinisme et mon binôme de l’époque, un fort grimpeur, m’avait motivée à tenter l’aventure. Force est de constater que la maîtrise de l’escalade n’est pas suffisante pour espérer réussir et après avoir perdu un temps inestimable en recherche d’itinéraire, nous avions décidé de faire demi-tour sous la dalle des Autrichiens.

La dalle des Autrichiens, un des passages clé de l’ascension – ©Clara Sonzogni
Deux ans plus tard, je reprogramme la traversée, plus riche d’expérience et avec des personnes de confiance. Après une montée ludique au refuge du Promontoire par les Enfetchores, nous apprécions l’accueil chaleureux de Frédi et Nathalie qui m’avaient déjà laissé un bon souvenir à mon dernier passage. Le soleil décline et nous admirons les couleurs chaudes qui inondent la Pointe des Aigles et le Pavé tandis que les nuages semblent envahir le ciel. C’est alors, malgré des prévisions météo clémentes, qu’un orage de grêle éclate. Les intempéries durent des heures, et vers 21h30, Frédi ainsi que les guides présents aux refuges déconseillent l’ascension du lendemain.
Nouveau but météo cette fois, c’est le jeu de la montagne ! Il faut savoir jongler avec les éléments et renoncer lorsque cela est nécessaire.

Le refuge du Promontoire, point de départ de la voie normale de la Meije – ©Clara Sonzogni
Seulement voilà, la Meije commence à avoir des allures impénétrables. Je me presse donc d’envisager une autre date et trouve un créneau parfait en août. La veille, tous les signaux semblaient au vert; grand ciel bleu annoncé pour les deux jours, température adéquate, bonne forme physique, motivation au maximum ! Je me lève avec un grand sourire et une pointe d’appréhension : ce n’est pas tous les jours qu’on réalise un rêve tout de même ! Le message de mon ami me disant qu’il a un empêchement de dernière minute me fait redescendre sur terre immédiatement…
Bon sang ! Je ne suis pas superstitieuse, néanmoins, tout semble se liguer contre moi afin de m’y interdire l’accès.
L’année dernière, un couple d’amis se blesse dans la Pierre Alain, une autre voie plus dure et engagée jusqu’au Grand Pic. Je décide de laisser ce sommet de côté et passe la saison à crapahuter ailleurs dans les Ecrins.
Cette année, après deux semaines de voyage en van avec mon conjoint en juillet et une reprise du travail compliquée, ce dernier me propose tout simplement : « Ne voulais-tu pas aller faire la Meije ? Allons-y demain ! ». J’ai fait de nombreuses courses plus difficiles que celle-ci ses dernières années, pourtant, le stresse monte ! Cela me semble irréalisable. Il faut pourtant que je la démystifie.
J’appelle le refuge afin de connaître les disponibilités et les conditions du Glacier Carré et de la Dent Zsigmondy ; Sandrine, la nouvelle gardienne, me rassure et prend ma réservation. Je souffle, cette fois c’est la bonne ! Nous choisissons l’approche par la Bérarde et c’est excitée comme une enfant que je fais découvrir ce lieu à Thomas; pointant les cimes alentours, racontant des anecdotes sur le refuge et les différentes voies de la Meije.

Coucher de soleil sur quelques géants des Ecrins : Roche Méane, Grande Ruine, Pic Bourcet – ©Clara Sonzogni
Après un repas savoureux et une discussion passionnée avec nos voisins de tables, nous observons la pleine lune se lever et noyer le vallon d’une ambiance toute particulière. Je dors très peu cette nuit-là et le réveil ne me surprend guère ; cela fait une heure que j’attends qu’il retentisse.
Nous sommes la troisième cordée sur sept à démarrer. Dès le fameux départ au-dessus des toilettes, les souvenirs jaillissent dans ma tête. Nous avançons tranquillement jusqu’au Couloir Duhamel, nos mains éclairées à la lueur de nos frontales. Un embouteillage se crée après la Dalle Castelnau, au moment opportun car le soleil se lève enfin. Le moment que je préfère…
Nous papotons avec les autres alpinistes et c’est dans la convivialité que l’ascension se poursuit, d’abord sur un granite orange magnifique, puis dans du gneiss blanchâtre.

Jamais difficile, la voie normale de la Meije demande néanmoins une attention constante – ©Clara Sonzogni
J’ai l’impression de flotter ; ça y est, j’y suis ! Le Glacier Carré, le Grand Pic, le sommet ! Et la vue est aussi grandiose qu’on le pense. La traversée des arêtes est très différente avec du mixte à profusion et son lot de rappels. Chaque dent est une découverte.

La suite du programme, avec en final le fameux “Doigt de Dieu” (3973m) – ©Clara Sonzogni
Lorsque nous arrivons au Doigt de Dieu, je peine à réaliser que c’est terminé. Il est encore tôt et je me sens empli d’un sentiment de bien-être qu’il m’est difficile à décrire. Je me sens si vivante là-haut ! Mes cuisses brûlantes d’impétuosité, mes pensées formant de multiples volutes artistiques, mes yeux dévorant chaque parcelle de paysage…
Et il y a la force du partage avec celui qui marche à mes côtés. Je n’ai qu’un mot à dire : Merci. Merci la vie de me permettre connaître de tels instants, merci à mon conjoint de m’avoir offert l’opportunité de clôturer ce chapitre avec la reine Meije.

Fin de la traversée avec la descente du glacier en direction du refuge de l’Aigle – ©Clara Sonzogni
Nous ne nous arrêtons pas au refuge de l’Aigle bien qu’il fasse partie de mes favoris. Nous filons à toute allure en direction de la vallée, savourant notre réussite au chaud en mangeant une pizza riche en calories perdues.
Et c’est une victoire sur moi-même que je célèbre en admirant, depuis ce restaurant, la pointe sur laquelle nous grimpions ce matin-là. Celle-là même qui m’a tant fascinée jusqu’à présent et qui restera un rêve perché dans un îlot de paradis. Il faudra y revenir par une voie plus dure pour un nouveau défi.
Clara Sonzogni, @Treesland